« La situation du pays demeure accablante, trois ans après le cataclysme de 2010 », a affirmé, mercredi, Geneviève Jacques, membre de la délégation de la FIDH qui effectue une visite de suivi en Haïti du 22 au 30 janvier. Malgré l'importante mobilisation de la communauté internationale, plus de 350 000 personnes vivent toujours dans des conditions inhumaines et dégradantes dans les camps de sinistrés, souligne Mme Jacques, chargée de mission de la FIDH. « Ce que nous avons constaté en mai dernier et qui se confirme encore maintenant, c'est que la situation se dégrade de plus en plus dans les camps. La saleté, la promiscuité, tout est humiliant pour les familles qui vivent dans ces conditions. »
La chargée de mission, qui en est à son troisième périple dans notre pays depuis la catastrophe, affirme que l'aide offerte aux sans-abri n'a que peu contribué à améliorer leur situation puisque des centaines de milliers d'entre eux vivent toujours dans des conditions extrêmement précaires. D'autant plus que les solutions envisagées et adoptées ne font, pour l'essentiel, que déplacer les problèmes dans le temps et dans l'espace, au lieu de les résoudre définitivement. « On a enlevé des camps du centre-ville, mais les gens sont allés se loger dans des camps beaucoup plus éloignés mais qui sont tout aussi précaires », explique Geneviève Jacques.
Le programme 16/6, donnant 20 000 gourdes à chaque famille pour se loger pendant un an, est un exemple de solution bancale, selon elle. « D'une part, il est très difficile, voire impossible, de loger toute une famille en zone métropolitaine pour 20 000 gourdes pendant un an, dit-elle. D'autre part, qu'est-ce qui va se passer après une année, s'il n'y a pas d'accompagnement ? »
Le rapport de la FIDH pointe également du doigt les camps de relogement de Corail, de Canaan et de Jérusalem, où quelque 120 000 personnes croupissent dans une misère abjecte. Ces camps représentent, d'après Mme Jacques, des solutions tout aussi problématiques. « Les gens sont dans des abris qui ont une durée de vie de 3 ans. Et trois ans, c'est maintenant ! »
« Pas d'eau, pas de toilettes, pas d'électricité, pas de plan d'urbanisation... Si l'on n'y prend garde, un immense bidonville pourrait de se former sur une montagne désertique », prévient-elle, soulignant qu'il s'agit là d'un exemple criant d'absence d'accompagnement et de planification. «C'est d'autant plus scandaleux qu'il y a eu cet espoir qu'après le tremblement de terre, la mobilisation financière de la communauté internationale allait enfin donner l'occasion de reconstruire d'une autre façon.»
Les constructions en dur du Morne-à-Cabri, elles non plus, n'ont pas échappé à l'attention de l'organisme international. « C'est dramatique de voir que 3 ans après le drame, la vulnérabilité et la précarité demeurent, explique-t-elle, disant faire un « constat d'échec ». La faute en est à l'Etat haïtien et à l'absence de gouvernance. »
Les marginalisés de la reconstruction
L'afflux d'aide humanitaire a certainement servi à sauver des milliers de vies, mais n'a pas permis de renforcer la capacité des Haïtiens à prendre en main eux-mêmes la reconstruction de leur pays, selon Jimena Reyes, responsable du Bureau des Amériques à la FIDH. Cette dernière souligne que les graves difficultés de gouvernance de l'Etat et les politiques menées par les divers intervenants externes ont conduit à une triple marginalisation : celle de l'Etat, celle des entreprises haïtiennes et celle de la société civile. Ce qui, selon elle, explique pourquoi le pays n'est pas sorti de la dépendance massive par arpport à l'aide humanitaire et pourquoi la sécurité humaine y reste extrêmement vulnérable.Les membres de la délégation espèrent que le CRED - la nouvelle instance de coordination de la reconstruction qui doit tenir sa première réunion en février prochain - adopte des solutions durables et inclusives. De concert avec le Centre oecuménique des droits humains et le Réseau national de défense des droits humains, ils appellent à une nouvelle approche de l'aide à la reconstruction qui mettrait la dignité humaine au centre de son action.
Gladimy Ibraïme
Source: le Nouvelliste